INTERVIEW - Florian Du Boys, Fondateur & Président, Les Plombiers du Numérique
Bonjour Florian, pourriez-vous nous présenter Les Plombiers du Numérique en quelques mots ?
Les plombiers du numérique est un dispositif d’insertion de jeunes adultes déscolarisés et en situation de précarité, vers les métiers des infrastructures numérique. Nous avons monté une vingtaine d’écoles en France, dont 3 spécialisées sur la formation technicien datacenter (câblage, rackage, urbanisation de salle informatique, gestion équipements, etc)
Une première a été montée en Seine Saint Denis il y a deux ans, et deux nouvelles ont ouvert à Grigny et à Roubaix en 2020.
Le dispositif est construit avec l’ensemble des acteurs de la filière, regroupé derrière leur fédération France Datacenter, qui est un partenaire de la première heure.
A ce jour, combien de jeunes accueillez-vous par an dans la formation technicien datacenter ? Quel est le taux d’embauche à la fin de cette formation ?
Chaque session dure 4 mois et nous accueillons 12 candidats à chaque session. L’objectif est de réaliser deux à trois sessions de formation par an.
Nous avons eu 36 candidats l’an passé et prévoyons d’en avoir 72 cette année sur les 3 écoles.
Nous avons un taux d’embauche d’environ 70% sur ce métier, qui est très peu connu et en forte tension. Ce taux est particulièrement élevé compte tenu des publics que nous visons (sans expérience et souvent à l’arrêt depuis plusieurs années), de notre sélection qui n’est faite que sur la motivation du candidat, et de la courte durée du cursus.
Quelles sont les perspectives d’évolution pour ces jeunes ? Ont-ils l’opportunité de monter rapidement en compétences au sein des data centers qu’ils intègrent ?
Lorsque nous avons lancé le cursus, nous avons dû inventer nous même le programme pédagogique. Ce genre de formation n’existe nulle part, les gens apprennent le métier sur le tas, alors que les hébergeurs investissent des milliards d’Euros chaque année pour construire de nouveaux datacenters, qui seront colonisés par des dizaines de milliers de serveurs.
Si vous considérez que la durée d’amortissement d’un serveur est de 3 ans, le travail de gestion de ces infrastructures serveurs est colossal, et il faut des techniciens compétents pour les gérer. Les entreprises du secteur que je connais sont des sociétés en très forte croissance, et cela représente des opportunités professionnelles pour les candidats motivés. Je suis juste stupéfait par les trajectoires professionnelles que suivent certains de nos élèves, qui reprennent possession de leur propre avenir.
Il y a peu de formations ciblées sur le datacenter, pourtant le manque de ressources est une problématique majeure pour l’industrie qui peine à recruter. La formation est donc un enjeu crucial
Il n’y en a tout simplement pas sur le métier de technicien datacenter, tel que nous l’avons développé. Les métiers du datacenter sont nouveaux. Ils embrassent un périmètre très large, difficile à appréhender par les acteurs de la formation professionnelle traditionnels, ainsi que par la DGEFP (Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) qui est l’organe en charge de la mise en place des titres professionnels et de leur référencement au Ministère de l’Emploi.
D’ailleurs, vous mettez en place cette année une nouvelle formation de Technicien Infrastructures numériques, pouvez-vous nous en dire plus ?
De nouveaux métiers émergent nécessitant des compétences sur les métiers du courant faible (fibre, cuivre) et du courant fort (électricité), ainsi que l’installation d’objets connectés. Parmi les futurs besoins, nous avons identifié les métiers de la smart city (bâtiments connectés, vidéo surveillance, datacenter de proximité, éclairages intelligents, etc). L’évolution de nos villes, les besoins économiques, nos interactions avec les autres vont évoluer et les nouvelles technologies nous y aideront. Pour ce faire, il faudra cependant installer toujours plus d’objets connectés, et l’idée est de permettre à nos futurs techniciens de maitriser l’installation de l’ensemble de ces derniers dans des environnements techniques toujours plus complexes.
Dans quelle(s) ville(s), planifiez-vous d’ouvrir cette formation en priorité ?
Nous allons faire migrer notre formation de technicien fibre de Seine et Marne en technicien infrastructure numérique dans le courant de l’année, et d’autres écoles suivront progressivement, en fonction des attentes des acteurs du marché.
Bien que la crise sanitaire ait provoqué un ralentissement des projets de construction de data centers en 2020, l’année 2021 devrait voir un rebond de l’activité, venant accroître la création d’emplois. Travaillez-vous en partenariat avec ces opérateurs de data centers en construction ?
La raison d’être de notre programme d’insertion est le besoin de recrutement des datacenters ainsi que de l’ensemble des acteurs de la filière. Effectivement nous sommes très proches des gros acteurs comme Equinix, Interxion ou Data4, ainsi que de nombreux autres acteurs régionaux comme Euclyde ou CIV. Cependant nos cibles principales sont les sous-traitants des datacenters et des clients, qui ont des besoins intensifs de main d’œuvre qualifiée.
Les femmes sont peu nombreuses dans l’industrie du data center. Ce manque de mixité est préjudiciable pour le secteur. Qu’en est-il dans les formations que vous proposez ? Réussissez-vous à attirer autant de femmes que d’hommes ?
Nos formations sont malheureusement trop masculines – sans doute la faute à des préjugés tenaces de notre société française. Cependant chaque promotion accueille quelques femmes, et nous avons décidé de leur donner de plus en plus de place : tout d’abord parce que c’est un souhait des entreprises, et ensuite parce que nous parlons de métiers où la rigueur et la précision du geste sont importantes, et les femmes peuvent y exceller.
Selon vous, comment développer l’attractivité des Métiers de la filière datacenter ? Quels leviers activer ?
Il y a une méconnaissance - ou un manque d’intérêt - pour la filière du plus haut niveau de l’Etat jusqu’à l’ensemble des citoyens français. Personne n’imagine le poids que représente l’écosystème du datacenter dans nos propres vies.
Le confinement, ainsi que la médiatisation de l’incident d’OVH à Strasbourg vont malheureusement faire bouger les lignes, mais il faut maintenant écrire de belles histoires dont les gens se souviendront.
Penser que le datacenter peut-devenir un outil d’inclusion sociale pour des milliers de personnes en situation décrochage est une de celles que nous souhaitons raconter.